Chapitre 27 : Fugue

 

 

 

Peut-être une mystérieuse divinité avait-elle envoyé un rappel au Maréchal Gu à l’autre bout du continent, lui disant que son fils était sur le point de lui être arraché par un âne chauve. Quoi qu’il en soit, un mois après le départ du Bataillon de Fer Noir, Gu Yun pensa à envoyer une lettre pour Chang Geng en même temps que son rapport à l’empereur. L’écriture que Chang Geng avait recopiée d’innombrables fois était étalée sur une liasse de pages. D’abord, il lui présentait ses sincères excuses, puis expliquait pourquoi il était parti sans dire au-revoir, faisant appel à la logique et à l’émotion, avant d’exprimer sa hâte de rentrer et de promettre que, du moment que tout demeurait paisible au nord-ouest, il rentrerait à la résidence à la fin de l’année, pour les fêtes du Nouvel An.

Chang Geng lut la lettre jusqu’à la fin, puis la reposa avec un petit sourire. Même s’il réfléchissait avec ses orteils, il aurait su qu’elle n’était pas de la main du Marquis de l’Ordre. Des phrases aussi écœurantes et sentimentales que « séparé de vous par des milliers des kilomètres, j’angoisse le jour et ne dors point la nuit » et « mangez bien et restez au chaud, n’amplifiez pas les inquiétudes qui me troublent l’âme » n’auraient absolument pas pu germer de l’esprit de Gu Yun. Ces lignes interminables étaient la marque du travail de Shen Yi. Tout au plus, son bâtard de parrain les avait recopiées de sa propre main.

Pourtant, Chang Geng était atterré de découvrir que, malgré sa compréhension limpide de la vérité, la simple idée que ces lignes soient nées du pinceau de Gu Yun lui donnait envie d’arracher chaque mot de ces pages pour les incruster dans ses yeux.

Malheureusement, lorsque la fin de l’année arriva, Gu Yun revint sur ses paroles. Sachant qu’il était en tort, Gu Yun flanqua Shen Yi dehors afin qu’il ne fasse pas d’autres promesses imprudentes en son nom et releva le défi lui-même, parvenant enfin à écrire une longue lettre d’excuse merdique à Chang Geng. Après l’avoir lue, Chang Geng s’esclaffa de colère, même s’il avait le sentiment que, cette fois, la lettre était plutôt sincère. Gu Yun n’avait vraiment aucun talent pour apaiser les gens, aussi le résultat ne fut-il rien de plus qu’un courant d’air extrêmement sincère pour attiser les flammes de l’indignation de Chang Geng.

Le Maréchal Gu avait commencé par trois pages de divagations sur diverses futilités qu’il trouvait intéressantes, parvenant à s’aventurer à dix mille lieues du sujet en un millier de mots. Ce n’est qu’à la toute fin qu’il avait ajouté avec raideur la phrase « je suis occupé par les affaires militaires » pour résumer la raison pour laquelle il ne pouvait pas rentrer à la capitale. Chang Geng se fichait bien de la meilleure façon de rôtir un scorpion du désert pour un résultat plus goûteux mais, même après avoir cherché du début à la fin à plusieurs reprises, il fut incapable de trouver la réponse à la question la plus chère à son cœur : si Gu Yun ne rentrait pas cette année, quand rentrerait-il ? Mais, après ce « je suis occupé par les affaires militaires », il n’y avait plus rien. A la place, il avait annexé une longue liste de cadeaux. Gu Yun avait dû avoir l’impression qu’une excuse écrite était insuffisante, aussi s’était-il également exprimé avec des actes – il avait envoyé toutes les jolies choses qu’il avait reçues cette année-là à la Résidence du Marquis et les avait fourrées dans les mains de Chang Geng, des bijoux scintillants aux bibelots les plus inutiles.

Ce jour-là, Chang Geng, âgé de quinze ans, s’enferma dans sa chambre et subit une attaque de Wu’ergu avec la dague de Loulan envoyée par Gu Yun en guise de compagnie. Une fois terminée, il prit une décision – il ne voulait pas rester dans la Résidence du Marquis tel un bon à rien inutile, et il ne voulait pas apprendre la version théorique de la littérature et des arts martiaux auprès d’un vieil érudit et de son shifu terrifié. Il voulait sortir et voir le monde.

Le jour du Nouvel An, Chang Geng se rendit au palais escorté par Zhu Xiaojiao pour présenter ses meilleurs vœux à l’empereur, effectuant son devoir. Il resta dans la Résidence du Marquis jusqu’au seizième jour du premier mois, durant lequel il demanda aux cuisines de préparer un bol de nouilles de longévité[1] qu’il emmena dans sa chambre et mangea. Ensuite, il annonça calmement sa décision, qui plongea la résidence dans le chaos.

- Je prévois de rester au Temple National quelques temps, déclara Chang Geng.

Observant l’effroyable visage verdâtre du vieux concierge, il ajouta :

- Oncle Wang, ne vous inquiétez pas, je ne prévois pas de devenir moine. Je veux simplement rejoindre le Grand Maître Liao Ran dans l’exercice de sa foi et prier pour yifu.

Le vieux domestique ne dit pas un mot. Que pouvait-il dire ? Il prépara de l’argent pour les offrandes et endura la douleur dans son cœur tandis qu’il ordonnait à quelqu’un d’emmener Chang Geng, Ge Pangxiao et Cao Niangzi jusqu’au temple. Le vieux concierge de la Résidence du Marquis pensait que cet imposant portail à l’entrée devait être maudit par une sorte de sorcellerie barbare. Chaque enfant qui franchissait ces portes, qu’il soit né dans la famille ou accueilli, causait plus d’ennuis que le précédent. Le vieux concierge n’avait pas oublié comment était Gu Yun, enfant. A l’époque, il ressemblait à un louveteau blessé gardant une rancœur aveugle contre tous ceux qui l’entouraient. Celui-là avait réussi à atteindre l’âge adulte et pouvait enfin faire front de manière autonome. Mais voilà qu’un autre enfant était arrivé, encore plus incompréhensible !

Après le départ de Gu Yun, Chang Geng avait commencé à passer ses journées au Temple National. Cet adolescent à moitié fini aurait pu devenir ami avec n’importe qui et, pourtant, il avait insisté pour se précipiter vers le temple à la moindre occasion. Que le Quatrième Prince Li Min ne quitte jamais la maison était une chose mais, maintenant qu’il le faisait, sa destination était véritablement insolite. Les intestins du vieux concierge s’étaient tordus avec anxiété, redoutant chaque jour que Chang Geng n’adopte la tonsure. Mais il savait également que les garçons de quinze et seize ans étaient particulièrement résistants aux conseils des aînés – sans parler qu’il n’avait pas élevé Chang Geng lui-même, aussi n’osait-il pas interférer directement avec les décisions du garçon. A la place, il avait fait appel à Cao Niangzi et Ge Pangxiao.

Lorsque Cao Niangzi avait entendu ce que le vieux concierge avait à dire, ses yeux s’étaient tellement exorbités qu’ils avaient manqué d’expulser la poudre sur ses paupières.

- Quoi ?! Cet âne chauve essaye de convaincre mon Chang Geng-dage de devenir moine ?

Dans ce monde, les hommes de belle apparence étaient aussi rares que les plumes de phénix et les cornes de licorne. Le maréchal était parti sans dire un mot, et personne ne l’avait aperçu depuis, aussi Chang Geng était-il tout ce qu’il restait à Cao Niangzi. Chang Geng avait atteint l’adolescence tout en s’abstenant de montrer le moindre signe de laideur – un exploit des plus difficiles ! Pourtant, il y avait désormais un risque qu’il finisse chauve. Ainsi, le vieux concierge s’était rapidement trouvé un allié.

Le lendemain, Cao Niangzi avait passé des vêtements d’homme et avait effrontément insisté pour aller voir le lieu sacré du Bouddha avec Chang Geng. Alors qu’il franchissait la porte à grands pas, il avait ostensiblement retroussé ses manches devant la paire de pantins de fer qui gardait le portail, signalant sa détermination à réussir. Les pantins de fer n’étaient pas pourvus d’émotions humaines, et avaient regardé son dos avec raideur tandis qu’il s’éloignait en ondulant tel un esprit-serpent. Mais, lorsqu’ils étaient rentrés du Temple National ce soir-là, Cao Niangzi n’avait plus jamais parlé de « forcer ce vilain moine à montrer sa véritable nature ». A la place, il avait résolument rejoint le groupe d’étude bouddhiste quotidien… pour la simple et bonne raison que le « vilain moine » était beaucoup trop beau.

Le maréchal avait suffisamment de beauté à revendre, mais il était trop intense. Il ne pouvait pas rester assis tranquille et laisser les gens admirer son visage. Mais le Grand Maître Liao Ran était différent. Cao Niangzi le considérait pratiquement comme une fleur de lotus vivante. Si vous le mettiez en pot, sa beauté serait immortalisée pendant cent générations, et un simple coup d’œil suffirait à vous détendre et à vous rendre joyeux pendant des jours.

Le vieux concierge ne savait pas quel philtre d’amour Liao Ran avait fait boire à un, puis deux de ces enfants, aussi sa seule option était-elle de recruter Ge Pangxiao. Tenu par le devoir, Ge Pangxiao avait commencé à accompagner Chang Geng et Cao Niangzi. Quelques jours plus tard, Ge Pangxiao l’avait également trahi.

Il s’avère que non seulement Liao Ran savait comment réciter les texte sacrés, mais il connaissait également très bien les nombreuses variétés de machines et pantins fonctionnant à l’or violet. Ge Pangxiao était même tombé sur des membres de l’Institut Lingshu en lui rendant visite. Par amour pour son rêve de piloter un cerf-volant géant dans le ciel, Ge Pangxiao s’était assis sur le trône de lotus[2] avec le moine sans plus de cérémonie.

Et c’est ainsi qu’au bout d’un an, le vieux concierge s’était habitué à ce que Chang Geng et les autres filent au temple tous les deux jours et n’y prêtait désormais plus attention. Il ne s’était jamais attendu à ce que la seule chose que le quatrième prince apprendrait auprès de Gu Yun soit sa façon de prendre la poudre d’escampette. Le lendemain de l’arrivée de Chang Geng au Temple National pour son séjour prolongé, il partit sans dire au-revoir. Il dit aux gardes qui l’escortaient qu’il allait cultiver en privé avec le Grand Maître Liao Ran pendant quelques temps, et que personne ne devait les déranger. Bien entendu, les gardes n’osèrent pas, et restèrent tranquilles derrière la porte. Le soir-même, Chang Geng prit ces deux traîtres de parasites et partit en excursion à Jiangnan avec le Grand Maître Liao Ran. Quelques jours plus tard, lorsque les gardes réalisèrent que quelque chose clochait et partirent à la recherche des enfants dont ils avaient la charge, il ne restait plus qu’une brève lettre d’une page dans leur cellule monacale. Le vieux concierge avait envie de pleurer, mais il ne put trouver les larmes pour le faire. Il dut se contenter d’envoyer quelqu’un en avertir l’empereur et quelqu’un d’autre apporter une lettre à Gu Yun.

En recevant la nouvelle, l’empereur se montra très ouvert d’esprit. Premièrement, il ne se souciait pas énormément de ce petit frère au rabais et, deuxièmement, il s’agissait d’un fervent bouddhiste qui avait une confiance aveugle en Liao Ran. En apprenant que Chang Geng était parti voyager avec lui, il fut même quelque peu envieux – quel dommage qu’il soit retenu par les affaires mondaines et ne puisse profiter de l’enrichissement qu’était la présence de cet éminent moine.

Gu Yun était encore plus hors de portée, et on ne pouvait compter sur lui. Les pillards du désert des Régions Occidentales étaient aussi nombreux que les poils d’un bœuf, et dieu seul savait jusqu’où il s’en était allé en les poursuivant. Même si la lettre avait atteint le Col Xiliang sans incident, localiser le Maréchal Gu serait un coup de chance.

Deux semaines plus tard, négligeant totalement la Résidence du Marquis, qui était en train d’exploser comme l’huile dans une poêle chaude, trois adolescents et un moine s’assirent autour d’une table, dans un petit salon de thé de Jiangnan.

 

***

 

La période de plantation printanière de Jiangnan avait déjà commencé. Mais, alors qu’ils regardaient dehors depuis leurs sièges, ils virent très peu de personnes travailler dans les champs. Un couple de vieux fermiers parés de chapeaux coniques en bambou observait les pantins de fer à l’œuvre avec paresse. Contrairement aux gardes et pantins d’entraînement à l’air menaçant de la Résidence du Marquis, ces pantins de fer ensemençant les champs sous la pluie printanière n’étaient pas humanoïdes, mais conçus pour ressembler à une petite charrette avec une tête de bœuf en bois à son sommet. S’affairant dans les champs, ces pantins avaient l’air plutôt mignon. Il s’agissait de la première série de pantins fermiers envoyés par la cour pour être testés dans la région de Nanjing.

Liao Ran tapa sur la table pour réobtenir l’attention de Chang Geng et les autres. Après l’avoir connu pendant plus d’un an, ils avaient fini par comprendre son langage des signes, aussi le moine n’avait-il plus besoin d’écrire chaque mot à la main.

- J’ai déjà vu les pantins fermiers que Jiangnan introduit ici à l’ouest, gesticula-t-il. Un seul pantin peut facilement s’occuper de tout un hectare de terrain tout seul. Bien qu’ils aient besoin de consommer un peu d’or violet, après quelques améliorations, la majeure partie de leur énergie peut être fournie par le charbon. De cette façon, le coût de leur exploitation est très bas. Apparemment, un tel pantin est encore moins cher qu’une lampe d’autel.

- Mais c’est une bonne chose, pas vrai ? demanda Ge Pangxiao. Désormais, les gens n’auront plus besoin de se lever tôt et de se coucher après le soleil pour travailler dans les champs.

La cour avait fourni les pantins à l’essai au gouvernement local de Nanjing, où les gentlemen de la région s’étaient inscrits pour les réclamer et avaient pris la responsabilité de leur entretien. Si leurs locataires souhaitaient cultiver la terre eux-mêmes, ils le pouvaient mais, dans le cas contraire, ils pouvaient laisser la terre qu’ils louaient aux pantins. Au moment des récoltes, ces locataires payeraient dix pour cent de plus sur leur loyer pour couvrir le coût du charbon et la petite quantité d’or violet consommés par les pantins. La première année, très peu de personnes avaient participé. Après tout, ils allaient devoir payer dix pour cent de plus sur leur loyer. Mais, dès la deuxième année, la pratique avait déjà commencé à se répandre – le peuple avait vu que ces machines étaient vraiment plus efficaces que les hommes et, même après avoir payé le loyer supplémentaire, leur rendement restait supérieur à l’année passée. Et ils n’avaient pas besoin de travailler de l’aube au crépuscule. Qui pouvait passer à côté d’une si bonne affaire ?

C’était la saison idéale pour voir les champs dépeuplés de Jiangnan. Liao Ran sourit, mais n’effectua pas d’autres signes.

- Je ne suis pas sûr que ce soit forcément une bonne chose, intervint Chang Geng. Si les pantins de fer peuvent entièrement remplacer les gens, à quoi servent les gens ? Les terres que les locataires louent appartiennent aux gentlemen. Pendant les premières années, peut-être qu’ils accepteront de garder ces faignants sous la main en mémoire du bon vieux temps, mais combien de temps cela durera-t-il ?

Ge Pangxiao était fasciné par toute sorte de machines, en rêvant de jour comme de nuit. Il répondit :

- Les fermiers pourront rester et devenir mécaniciens !

- Je connais la réponse à cette question, dit Cao Niangzi. L’ensemble des armures d’acier des troupes qui défendent Yanhui n’avait pas besoin de plus de deux mécaniciens pour être entretenu, et ils demandaient toujours l’aide de Shen-xian… du Général Shen quand ils étaient submergés. Il n’y a pas besoin de beaucoup de mécaniciens.

- Ils peuvent trouver d’autres choses à faire, comme…

Comme quoi, il était incapable de le dire pour le moment. La famille du boucher avait vécu décemment, à l’époque et, pour Ge Pangxiao, il y avait plein d’autres choses à faire que cultiver les champs en ce monde.

Cao Niangzi avait du mal à détacher les yeux du visage de Liao Ran.

- Dans ce cas, si personne n’a de travail, ou si la majeure partie des gens n’ont pas de travail – vont-ils se révolter ?

Liao Ran baissa les yeux vers lui, et le visage de Cao Niangzi adopta promptement une teinte rouge brûlante.

- Pas encore, signa Liao Ran.

Les trois adolescents restèrent silencieux un moment. Puis, Chang Geng demanda :

- Est-ce à cause de mon yifu ?

Liao Ran le regarda avec un sourire.

- Lors du Réveillon précédent, quand le tigre des Occidentaux s’est échappé et que les rues ont sombré dans le chaos, les choses se sont calmées quand les gens ont vu mon yifu.

Chang Gent s’interrompit, puis continua :

- Plus tard, j’ai entendu des gens dire que, avec une telle foule tout autour du Pavillon des Cerfs-volants, si mon yifu n’était pas intervenu, de nombreux spectateurs auraient été piétinés à mort.

- Pour avoir fait sortir Son Altesse sans permission, j’ai dû profondément offenser le Marquis d’Anding, signa Liao Ran. Une fois que la vérité aura éclaté, j’espère que Son Altesse sauvera la piètre vie de ce moine de l’épée du marquis.

Ge Pangxiao et Cao Niangzi s’esclaffèrent, songeant que Liao Ran blaguait – après tout, l’image qu’ils se faisaient de Gu Yun était celle d’un homme toujours agréable et amical. Liao Ran sourit également avec difficulté et changea de sujet.

- Les gens racontent encore comment l’ancien marquis a contraint le Loup du Nord à incliner la tête avec seulement trente Carapaces Noires. Ils considèrent tous le Bataillon de Fer Noir comme des soldats divins avec un commandant divin, omnipotent et impénétrable. Avec une poutre aussi solide que le Bataillon de Fer Noir pour soutenir la nation, même si des rebelles ont suffisamment de cran pour défier le gouvernement, il sera difficile pour eux de créer un mouvement d’ampleur suffisante.

Chang Geng se redressa.

- Mais j’ai entendu des gens dire que, pour démolir une maison, il faut d’abord détruire les poutres.

Liao Ran regarda le jeune homme assis en face de lui. Si Gu Yun rentrait aujourd’hui, il ne reconnaîtrait probablement même pas Chang Geng. En un an, il avait poussé de plusieurs centimètres, et la courbe enfantine de ses sourcils avait entièrement disparu. Le garçon qui avait eu des démangeaisons au cuir chevelu à la simple idée de sortir pendant le Réveillon était assis dans un salon de thé au milieu des champs de Jiangnan, discutant du monde et de la vie du peuple avec un moine.

- Son Altesse n’a pas besoin de s’inquiéter. Le marquis a parfaitement conscience de tout cela.

Chang Geng songea à la pièce de calligraphie déclarant que « LE MONDE EST INELUCTABLE » suspendue dans la chambre de Gu Yun est tressaillit légèrement. Une vague de désir enfla instantanément dans son cœur, comme si elle avait submergé une digue. Il resta assis en silence un moment, laissant ce désir l’assaillir puis se retirer, puis pris la tasse de thé sur la table et, avec un sourire plein d’auto-dérision, l’avale d’une traite.

 

***

 

L’objet du désir de Chang Geng était perdu dans les vastes déserts des Régions Occidentales, où il affrontait la plus grande bande de pillards du désert depuis plus d’un mois.

A présent, le Col Xiliang n’était plus aussi inhabité qu’il l’était par le passé. Depuis que l’empire du Grand Liang avait signé l’Accord du Col Xiliang avec le pape, l’intégralité de la région était devenue une terre propice où les riches de ce monde venaient se rassembler. Les marchands et les voyageurs avaient rapidement afflué, et la population des villes environnantes avait augmenté. Les Occidentaux, le peuple des Plaines Centrales et les habitants des petites nations des Régions Occidentales vivaient côte-à-côte, aussi soudés que des amants transis.

Avec son emplacement privilégié à l’entrée de la Route de la Soie, la petite nation de Loulan était devenue un carrefour commercial, et ce petit lopin de terre anonyme s’était rapidement transformé en un territoire regorgeant d’or. Le peuple de Loulan était joyeux et enthousiaste, heureux de vivre et de travailler dans la paix, et n’aimait pas causer d’ennuis. Par le passé, ils n’avaient joué aucun rôle dans la rébellion des Régions Occidentales et avaient toujours entretenu des relations amicales avec l’empire du Grand Liang. Ainsi, le fait que l’empereur ait placé l’entrée de la Route de la Soie ici n’était pas un hasard.

- Monsieur, Xiao-Jia et les autres ont mis la main sur le repaire des voleurs. Doit-on agir maintenant ? demanda Shen Yi.

- Qu’est-ce que tu attends ? Quand on aura attrapé leur chef, on ira quémander un repas auprès du Prince de Loulan dès ce soir !

Tandis qu’il parlait, Gu Yun pressa légèrement sa main contre ses paupières.

- Est-ce que vos yeux…, commença Shen Yi.

- Non, marmonna Gu Yun. Mais mes paupières n’arrêtent pas de tressauter. Peut-être que…

Avant qu’il ne puisse terminer sa phrase, un de ses gardes personnels approcha à grand pas, sortant une lettre du revers de ses vêtements.

- Monsieur !

- D’où vient-elle ?

- Une lettre en provenance de la Résidence du Marquis, monsieur. Elle est arrivée au Col Xiliang, mais ils ne vous ont pas trouvé, alors ils ont envoyé un messager de Loulan la livrer ici.

C’est peut-être une réponse de Chang Geng, songea Gu Yun en l’ouvrant avec impatience.

Shen Yi vit le visage de Gu Yun s’assombrir.

- Qu’y a-t-il ?

- Cet âne chauve de Liao Ran ferait mieux de ne pas se retrouver entre mes mains, gronda Gu Yun.

Il fit plusieurs fois le tour de la tente du commandant telle une mouche sans tête, les mains plaquées derrière le dos, puis renversa brusquement son bureau.

- Convoque quelques Faucons Noirs. Jiping, à partir de maintenant, tu prends la direction des choses, ici.

 

 

[1] Plat traditionnel chinois de nouilles aux œufs souvent servi aux anniversaires.

[2] Piédestal des figures divines dans l’art bouddhiste et hindou.

 

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