Chapitre 9 : Promotion
Vers la fin de l’année, les rues de Qudu grouillaient de personnes parées de leurs plus belles coiffes nao’e[1], taillées dans la soie ou la feuille d’or en forme de fleurs et d’insectes de la nouvelle saison. A l’approche de la Fête du Printemps, qui marquerait la nouvelle année, le peuple anticipait la préparation des pâtisseries et de la viande. Bien évidemment, le palais avait commencé à se procurer les ingrédients pour le Festin des Fonctionnaires quinze jours à l’avance. L’intégralité de la Cour des Divertissements Impériaux courait à gauche et à droite pour terminer les préparatifs et, pourtant, seuls les eunuques parvenaient à se remplir les poches au passage – en piochant dans le tas.
Tandis que Xiao Jiming s’habillait, Xiao Chiye parcourait bruyamment un livre de comptes.
- Lorsque ces fonctionnaires régionaux entreront dans la capitale, ils vont sans aucun doute présenter leurs respects de glace[2] aux fonctionnaires de la capitale. Mais Pan Rugui est véritablement redoutable, en ce sens ; il a dressé une liste extrêmement bien organisée. Ils ne pourront passer qu’après avoir payé.
- Et ce n’est que de la menue monnaie, au commencement de l’année.
Lu Guangbai repoussa la mousse de son thé.
- Laissez-moi vous expliquer : l’argent qu’un eunuque junior empoche en un an au service de Pan Rugui excède considérablement les fonds alloués à un bataillon de mille hommes stationné à la frontière pendant deux ans. Pendant ce temps-là, année après année, lorsque notre Da Zhou déploie ses troupes, le Ministère des Revenus se prosterne et nous implore comme le ferait un enfant devant son père chaque fois qu’on nous demande de nous battre. Pourtant, une fois la bataille terminée, nous sommes traités comme des voyous venus collecter une dette.
- Les véritables maîtres sont ceux qui possèdent l’argent, dit Xiao Chiye avec un sourire.
- Lorsque nous sommes venus à la rescousse de l’empereur, cette année, nos troupes de Libei ont marché à travers la neige et la glace, dit Zhao Hui. Les hommes et les chevaux sont fatigués, et les réparations sur les équipements de la cavalerie cuirassée doivent être terminées avant le printemps. Les règlements que nous devons aux artisans sont très en retard. Tout nécessite de l’argent.
Il effectua minutieusement le calcul de tête.
- Avant d’entrer à Qudu, les Troupes de Garnison de Libei travaillaient la terre sur laquelle elles étaient stationnées et vendaient le surplus de récoltes pour gagner des fonds supplémentaires. Nous devons compter chaque centime et faire en sorte que chaque centime compte. L’épouse de notre héritier ne peut acheter de beaux vêtements pour son foyer, même pour célébrer le Nouvel An. L’argent qu’amasse un eunuque du palais tel que Pan Rugui surpasse toutes les taxes que collecte la préfecture de Duanzhou. Les censeurs jouent les gros bras lorsqu’ils sont envoyés pour contrôler les gouvernements régionaux, mais ils n’osent pas dire un mot sur cette corruption lorsqu’ils se trouvent à Qudu !
- Mais que pouvons-nous faire ? Nous sommes fauchés, se lamenta Lu Guangbai. Nous nous inquiétons pour les finances, année après année. Au moins, avec Jiming dans la capitale cette année, le Ministère des Revenus ne pourra pas traîner des pieds ; ils ont déjà soumis la demande de fonds au Grand Secrétariat. Pan Rugui n’a pas fait de vagues et a signé son approbation. Libei verra probablement la couleur de cet argent avant de quitter la capitale.
Xiao Chiye reposa les comptes et se tourna vers Lu Guangbai.
- Nous avons mon frère, mais vous, qu’allez-vous faire ?
- Sa Majesté refuse de me voir, admit Lu Guangbai. Le Clan Lu n’est pas populaire, à Qudu. Les Huit Grands Clans nous ont toujours considérés comme des rustres du désert. Tout particulièrement le Clan Hua, qui peut difficilement supporter de nous regarder dans les yeux. Même si vous me conseilliez de présenter tous les « respects » possibles et imaginables à Pan Rugui, je n’ai pas l’argent pour le faire ; dans l’état actuel des choses, nous avons à peine de quoi manger. Les autres garnisons peuvent travailler leur terre pour tenter de joindre les deux bouts, mais la Commanderie Bianjun ne comprend que du sable jaune à des kilomètres à la ronde. Il n’y pas la moindre terre cultivable.
« Cette fois-ci, nous avons rassemblé les troupes à la hâte, mais toutes les provisions pour les hommes et les chevaux pendant le voyage ont été payées via les économies personnelles du Grand Maréchal Qi. Pour le dire franchement, sans la générosité du Maréchal Qi, mes troupes n’auraient jamais pu passer la Tour de guet Tianfei. Mais combien d’argent le Maréchal Qi possède-t-elle ? Elle pioche dans le trousseau que lui a donné la vieille mère consort. Les hommes de ses troupes privées sont à deux doigts de vendre leurs pantalons ! Le Ministère des Revenus se défausse de toute responsabilité chaque jour – ils m’ont fait tourner en bourrique jusqu’à m’en filer le vertige. Voilà un beau manquement au devoir : ils n’ont de cesse de refuser de me remettre les fonds, pensant qu’un péquenaud tel que moi ne pourra rien y faire.
Il était rare que Lu Guangbai perde son sang-froid, mais il ne pouvait s’en empêcher. La Commanderie Bianjun défendait les frontières de l’empire dans le désert ; à part Libei, c’étaient les troupes de garnisons qui affrontaient le plus souvent la Cavalerie de Biansha. Ils s’usaient, courant d’un endroit à un autre tout au long de l’année, gagnant tout juste de quoi vivre sous la lame aiguisée des cimeterres. Ils dormaient à peine et ne mangeaient jamais à leur faim. Pourtant, Qudu snobait le Comte de Biansha de manière si ostensible qu’il était devenu un célèbre indigent parmi les princes. Son clan ne gardait aucune des récompenses qui leur était attribuées ; la moindre miette en avait été revendue, et l’argent utilisé pour reconstituer les provisions militaires.
Lorsque Xiao Jiming eut terminé de s’habiller, les servantes sortirent à la file indienne, ne laissant que les quatre hommes dans la pièce. Xiao Jiming avala une gorgée de thé et commenta paresseusement :
- Le Festin des Fonctionnaires arrive à point nommé, cette année. Qi Zhuyin devrait arrive d’un jour à l’autre, n’est-ce pas ?
- En effet, répondit Lu Guangbai. J’étais inquiet, au début – mais, en y réfléchissant, laissons-les faire traîner les choses à leur guise. S’ils les retardent jusqu’à ce que le grand maréchal entre dans la capitale – eh bien, bonne chance à eux.
- Tout le monde l’aime, à Qudu, en ce moment, dit Xiao Jiming. Même les voyous et les prêteurs sur gage de Qudu la respectent. Cette affaire peut probablement être réglée, mais vous ne pouvez pas continuer à vous appuyer sur elle. La Commanderie Bianjun est d’une grande importance stratégique. Hier, j’ai entendu dire que le Ministère des Revenus allait vous redemander de recruter.
Li Guangbai caressa le bord de sa tasse.
- Recruter ? N’y pensez même pas. Après ce qu’il s’est passé à Zhongbo, tout le monde est terrorisé. Le Ministère craint que Bianjun ne se fasse massacrer par Biansha ; il craint que mes vingt mille hommes et chevaux ne puissent les tenir à distance. Mais si nous recrutons plus de soldats, vont-ils nous donner l’argent pour les payer ? Je ne peux assurément pas me le permettre. Cette année, même s’ils me mettent une lame sous la gorge, je ne le ferai pas.
- C’est cela, répondit Xiao Chiye en se redressant. Par le passé, bien qu’il ait été lent à approvisionner les autres régions, le Ministère des Revenus s’est toujours empressé de fournir des fonds et des rations aux garnisons de Zhongbo. Maintenant qu’ils sont tous morts, sans parler de l’argent – qu’en est-il des céréales ? Il est impossible que la Cavalerie de Biansha ait pu tout emmener dans sa fuite.
Les trois autres le regardèrent.
- Idiot, oubliez ça, dit Lu Guangbai. Toutes les céréales retrouvées ont été utilisées pour payer les arriérés de salaires dans les treize cités de Juexi, cette année. Voyez-vous pourquoi le Ministère des Revenus continue d’esquiver le problème ? Les Huit Clans ont passé la majeure partie de la dernière décennie à mettre en place les Huit Grands Bataillons, et leurs équipements et budgets sont les plus importants de Da Zhou. Mais tout cet argent provenait directement des recettes des taxes – plus de deux millions de taels[3]. N’importe qui pourrait vous dire à quel point ces chiffres sont insensés ! Mais si l’impératrice douairière et le Secrétaire Aîné Hua ont fermé les yeux, qui au sein du Ministère des Revenus aurait pu être suffisamment brave pour mettre le sujet sur la table ? Les treize cités ont été frappées par une invasion de sauterelles, l’année dernière – pas une seule céréale n’a été récoltée. Avec cette part en moins dans la trésorerie nationale, où le Ministère des Revenus aurait-il pu trouver les fonds pour soutenir Juexi dans cette passe difficile ?
« Ils n’ont tenu que grâce au Préfet d’Administration Provinciale, Jiang Qingshan, poursuivit Lu Guangbai. Il a forcé les fonctionnaires préfectoraux de tout rang à ouvrir leurs greniers privés et à distribuer la nourriture aux petites gens. Jiang Qingshan a sauvé des centaines de milliers de personnes et, pourtant, il est haï par tous les fonctionnaires de Juexi. Avant la nouvelle année, j’ai entendu dire que les créanciers avaient frappé à sa porte pour essayer de récupérer leur argent. Cet homme est un fonctionnaire provincial de second rang et, pourtant, sa mère de quatre-vingt ans est encore obligée de tisser pour rembourser leur dette ! Au final, c’est le Secrétaire Aîné Hai qui a soumis un rapport et affronté le Grand Secrétariat et Pan Rugui pendant deux semaines, et ils n’ont réussi à combler le manque que de justesse.
Zhao Hui ne put s’empêcher d’intervenir :
- Ces fonctionnaires de la capitale prétendent être pauvres, mais les pots-de-vin coulent à flots tandis que ceux qui travaillent pour de vrai doivent se serrer la ceinture. Nous marchons sur des œufs, ici ; nous n’aurions probablement pas dû faire le voyage jusqu’à Qudu. C’est déprimant.
Dehors, la neige tombait mais, à l’intérieur, l’atmosphère n’était pas à la fête. Des problèmes empilés les uns sur les autres, et les paysages lumineux de Qudu étaient tels de la gaze recouvrant la surface d’une plaie ouverte, dissimulant la blessure alors même que le pus tachait le sol. La neige arrivait à point nommé : cachant tout avec tant de beauté qu’on pouvait prétendre ne pas voir la crasse sous-jacente, permettant à tous de continuer à vivre tels des ivrognes dans ce paradis de façade.
***
Au milieu de la nuit, Pan Rugui était assis sur la banquette, les yeux fermés. Une serviette en papier pliée en forme de fleur était posée à côté de lui afin qu’il puisse s’essuyer les mains après sa méditation. Xiaofuzi n’osait pas respirer trop fort tandis qu’il patientait sur le repose-pied, une mallette à pinceaux à la main. Au bout d’une heure, Pan Rugui expira et ouvrit les yeux. Xiaofuzi lui tendit instantanément le pinceau. Fronçant les sourcils avec concentration, Pan Rugui écrivit quelques mots sur la paume de Xiaofuzi. Xiaofuzi ne perdit pas une seconde avant de lui lécher les bottes :
- Grâce aux récents enseignements de Sa Majesté, Lao-zuzong devient plus spirituel de jour en jour. Tout à l’heure, cet humble serviteur a même vu une volute de fumée violette sortir de votre tête – c’est prometteur !
Pan Rugui s’essuya les mains et demanda :
- Savez-vous pourquoi vous n’avez pas pu entrer au Bureau du Cérémonial ?
- Parce que vous m’adorez, répondit Xiaofuzi.
- Vous adorer est une chose.
Pan Rugui abandonna la fleur de papier dans les mains ouvertes de Xiaofuzi.
- Manquer de tact en est une autre. Cela fait deux ans que Sa Majesté s’instruit et, pourtant, même lui ne dégage aucune aura violette. Je ne suis qu’un simple serviteur. Comment pourrais-je monter au ciel en premier ? Cela ne reviendrait-il pas à outrepasser mes droits ?
Xiaofuzi tendit une tasse de thé à Pan Rugui avec un sourire mielleux.
- Vous êtes mon maître, mon paradis. Voir Lao-zuzong méditer revient à voir Taishang Laojun[4] en personne ! Pourquoi devrais-je voir au-delà ?
- Hum, dit Pan Rugui en se rinçant la bouche. Votre dévotion filiale est votre seul talent de valeur.
Xiaofuzi ricana en se penchant au-dessus de la jambe de Pan Rugui.
- La Fête du Printemps arrive bientôt ; il est parfaitement normal que je présente mes respects filiaux à Lao-zuzong. Tout à l’heure, pendant que j’effectuais les préparatifs pour le Nouvel An, j’ai aperçu une beauté époustouflante dans le manoir du Prince Chu ! J’ai posé quelques questions et songé que, si Sa Majesté n’avait aucun projet pour elle, elle devrait vraiment vous être offerte.
- A quel point est-elle époustouflante ? demanda Pan Rugui. Est-elle comparable à la Troisième Dame Hua ? Par ailleurs, n’appartient-elle pas au Prince Chu ? Le prince est de nature obstinée ; je crains qu’il ne la laisse pas partir sans se battre.
- Qu’importe la noblesse du Prince Chu, il ne peut pas être plus noble que Sa Majesté, n’est-ce pas ? Sa Majesté ne s’y est pas opposé, alors pourquoi ne pourrais-je pas vous la présenter ? Inutile de vous inquiéter ; tous les arrangements nécessaires seront faits avant le début du printemps. Lorsque vous poserez les yeux sur elle, seules sa bonne ou sa mauvaise fortune détermineront votre choix.
Pan Rugui reposa sa tasse de thé.
- Rien ne presse. Je ne suis pas un homme avare ou lubrique. Mais en parlant de cet obstiné de Prince Chu, comment Xiao Er-gongzi se débrouille-t-il dans la capitale ?
Xiaofuzi massa les jambes de Pan Rugui.
- Ha ! Ce Xiao Er-gongzi, c’est vraiment quelque chose. Il festoie chaque nuit depuis qu’il a mis un pied dans la capitale ! A part manger, boire et faire la fête, il n’a absolument rien fait. Le Prince Chu et ses semblables l’ont déjà adopté au sein de leur bande ; qui se ressemble s’assemble !
- C’est très bien, mais il demeure un membre du Clan Xiao. Sa Majesté l’a placé au Service des Apparats Impériaux, mais cela le rapproche un peu trop de nous – cette idée me met mal à l’aise.
Pan Rugui réfléchit un moment, puis afficha un sourire.
- Je viens de trouver un poste parfait pour lui. Mettez-moi mes chaussures. Je me rends au Hall Mingli pour servir Sa Majesté !
***
Le lendemain se tenait le Festival des Fonctionnaires de la Fête du Printemps. Après plusieurs heures tranquilles, l’atmosphère du festin avait commencé à être plus détendue lorsque l’Empereur Xiande haussa la voix :
- A-Ye, êtes-vous à l’aise à Qudu ?
Xiao Chiye cessa de peler sa mandarine pour répondre :
- Oui, Votre Majesté.
L’Empereur Xiande se tourna vers Xiao Jiming.
- Nous avons réfléchi. Assigner A-Ye au Service des Apparats Impériaux reviendrait à gaspiller ses talents. C’est un garçon compétent qui a servi sur le champ de bataille. Le garder si près de nous est trop restrictif. Que dites-vous de cela : laissons A-Ye intégrer l’Armée Impériale. Autrefois, Xi Gu’an commandait l’Armée Impériale mais, à présent, il supervise les Huit Grands Bataillons. Il a du travail jusqu’au cou, aussi A-Ye peut-il prendre sa place de commandant suprême.
Lu Guangbai fronça instantanément les sourcils. Au moins le Service des Apparats Impériaux œuvrait-il sous le nez de l’empereur. Si quelque chose devait arriver, Sa Majesté ne pourrait l’ignorer. Que valait l’Armée Impériale ? Ces jours-ci, ses membres n’étaient plus que les coursiers de Qudu. Etait-ce une récompense ? Comment pouvait-on considérer cela comme tel ?! Mais, avant que Lu Guangbai ne puisse se lever pour protester, Xiao Chiye s’inclinait déjà avec gratitude.
- Commandant suprême – cela semble terriblement impressionnant, presque autant qu’un maréchal, dit Xiao Chiye avec un sourire désinvolte. Merci, Votre Majesté !
Le Secrétaire Aîné Hua éclata de rire.
- Sa Majesté est sage ! Voilà un jeune héros en devenir, Shizi !
Les félicitations s’élevèrent puis retombèrent à travers la salle du banquet telle une vague. Xiao Jiming sourit mais ne dit rien tandis qu’il observait Xiao Chiye.
- Cet arrangement pourrait tout aussi bien être un couteau dans le cœur de Jiming, murmura Lu Guangbai à Zhao Hui tandis qu’il baissait la tête pour boire.
Lorsque le banquet se termina, Xiao Chiye disparut sans laisser de trace. Ses turbulents amis avaient réclamé de le féliciter pour sa promotion, et il s’y était soumis avec joie. Lorsqu’ils émergèrent enfin des tavernes et des maisons de plaisir, bien après minuit, ce fut d’un pas chancelant.
Le Prince Chu, Li Jianheng, avait quelques années de plus que Xiao Chiye et était une véritable crapule. Alors qu’il grimpait dans son palanquin, il tira sur la manche de Xiao Chiye en disant d’une voix désarticulée :
- Vous êtes redoutable ! Dans l’Armée Impériale, vous n’aurez pas à vous soucier de patrouilles ou de défense. C’est un travail oisif avec un salaire décent. Pas besoin de risquer votre vie et pourtant, vous empochez quand même l’argent. Toutes les meilleures choses du monde vous sont tombées dessus ! Je parie que vous en rirez dans votre sommeil !
Xiao Chiye lui rendit un sourire mauvais.
- C’est exact. N’est-ce pas la raison pour laquelle je vous ai emmené boire à la première occasion ? A partir de maintenant, nous arpenterons les rues de Qudu ensemble !
- Oui, oui ! soupira Li Jianheng en frappant l’épaule de Xiao Chiye. C’est l’idée ! Venez chez moi, d’ici quelques jours, et je… porterai un nouveau toast en votre honneur…
Xiao Chiye regarda le palanquin rétrécir au loin avant de monter sur son cheval. Il avait personnellement entraîné ce cheval issu d’une lignée de chevaux sauvages qu’il avait apprivoisés au pied des Montagnes Hongyan. Il était rapide et farouche, avec une robe d’un noir pur à l’exception d’une tache blanche comme neige sur son poitrail. Tandis que Xiao Chiye l’éperonnait, les boutiques qui bordaient la rue se mirent à allumer leurs lanternes pour éclairer son chemin. Il leva une main.
- Eteignez-les.
Les domestiques échangèrent un regard, mais n’osèrent pas désobéir. Les lanternes s’éteignirent les unes après les autres jusqu’à ce qu’il ne reste plus que la lueur glaciale de la lune se reflétant sur la route givrée. Xiao Chiye siffla, et son faucon gerfaut descendit des ténèbres de la nuit, faisant écho à son appel. Il éperonna son cheval, et l’étalon de combat souffla un nuage de vapeur chaude avant de partir au galop. Le vent violent frappa Xiao Chiye, dissipant la rougeur de l’alcool. Dans le noir, il était telle une bête acculée tentant de s’échapper, le bruit des sabots tel le son de son corps se heurtant aux murs de sa prison. Il accéléra à travers les rues désertes. Le sourire sur son visage disparut sous le couvert de l’obscurité jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un silence glacial.
Qui sait depuis combien de temps le cheval galopait lorsque Xiao Chiye en tomba. Il s’écrasa lourdement dans une imposante congère et y resta, tête la première. Le cheval trotta autour de lui, baissant la tête pour pousser la sienne. Le faucon, perché sur la selle, inclina la tête pour l’observer d’un air perplexe. Xiao Chiye essaya de recouvrer ses esprits, saisi d’un haut-le-cœur, mais abandonna rapidement ; il se redressa et vomit dans la neige. Après plusieurs minutes, il se releva enfin et s’adossa contre le mur. La bague en os qu’il portait à son pouce était légèrement desserrée, et il réalisa qu’elle était tombée lors de sa chute. Il venait de se pencher en avant pour la chercher dans la neige lorsqu’il entendit une voix basse à quelques pas de là.
- Qui va là ?
Xiao Chiye l’ignora. Un chef d’escouade de l’Armée Impériale tendit sa lanterne pour éclairer le chemin.
- Comment osez… ah, Votre Excellence ?
Xiao Chiye se retourna.
- Vous me connaissez ?
Le chef d’escouade secoua la tête avec honnêteté.
- Je crains ne pas avoir reconnu Son Excellence…
- Je suis votre grand frère.
Xiao Chiye jeta sa cape souillée et baissa à nouveau les yeux vers la neige, cherchant sa bague de pouce. Il jura dans un souffle.
- La lanterne : ici. Vous : du balai.
Le chef d’escouade s’approcha avec prudence.
- Vous êtes Er-gongzi, n’est-ce pas ? Nous venons de recevoir le décret. Il est un peu tôt pour une inspection – il fait encore nuit. Peut-être que vous pourriez revenir demain…
Xiao Chiye tendit la main, et le chef d’escouade lui remit la lanterne.
- Quel est cet endroit ? demanda Xiao Chiye.
- Le mur marque le périmètre de Qudu ; il s’agit du Temple de la Culpabilité, répondit respectueusement le chef d’escouade.
- Ce sera tout.
Le chef d’escouade savait reconnaître un congédiement lorsqu’il en voyait un ; il était sur le point de reculer lorsqu’il entendit la voix de Xiao Chiye retentir une fois de plus.
- Shen Zechuan est-il ici ? Dans le temple ?
- Oui.
Le chef d’escouade commença à s’inquiéter.
- Il est détenu à…
- Faites-le sortir.
L’espace d’un instant, le chef d’escouade demeura abasourdi. Puis, il bafouilla :
- C’est impossible ! Même si vous êtes le commandant suprême ! Sa Majesté a strictement interdit…
- Je suis l’Armée Impériale, c’est moi qui ai le dernier mot.
Xiao Chiye souleva la lanterne. Le chef d’escouade bredouilla nerveusement :
- Mais ne le t… tuez pas…
- Je veux qu’il sorte de là et me chante une putain de chanson !
Xiao Chiye jeta brusquement la lanterne, et la lumière s’éteignit. Il resta planté dans l’obscurité, ses yeux s’emplissant de cruauté.
[1] Accessoire pour cheveux.
[2] C’est-à-dire verser un pot-de-vin.
[3] Ancienne monnaie chinoise.
[4] Divinité taoïste, dont Laozi (le fondateur du taoïsme) serait la réincarnation
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